Été 2014, il débarque sur le devant de la scène. En remplaçant d’Arnaud Montebourg, viré du gouvernement suite à sa cuvée du redressement, il reprend le Ministère de l’économie et des finances. Après avoir été le conseiller économique de François Hollande, Emmanuel Macron entre dans la cour des grands.
Deux ans plus tard, il fait la une de tous les magazines et, fort de son profil de nouveau venu, la coqueluche des médias se voit propulsée par les sondages au 3ème rang potentiel, en tête du camp progressiste.

Mais qui est vraiment le « révolutionnaire » Emmanuel Macron ?
Quel est son parcours ? Son programme ? Et surtout, qu’apporte-t-il de novateur dans une 5ème République française à l’agonie ?

Né à Amiens il y a 40 ans dans une famille de médecins, Emmanuel Macron fait son lycée dans un établissement privé catholique. Il étudie ensuite la philosophie à Paris puis rejoint l’École nationale d’administration (ENA) à Strasbourg, dont il sort diplômé en 2004.

Après un passage par l’inspection des finances, il travaille 4 ans comme banquier d’affaires chez Rothschild & Cie dont il devient associé fin 2010. Une période difficile à assumer pour un homme politique se définissant, parfois, « de gauche ». Soutien de François Hollande pendant la primaire socialiste, il devient secrétaire général adjoint de l’Élysée après sa victoire en mai 2012. La suite est connue.

Mais comment cet énarque devenu banquier d’affaires a-t-il pu, après avoir été au cœur de l’échec économique du gouvernement Hollande, se retrouver parmi les favoris de la Présidentielle alors qu’il était encore inconnu il y a 2 ans ?

Le premier élément de réponse se trouve dans le système politique français. Un aspect difficile à comprendre depuis un autre pays, en particulier depuis la Suisse et sa démocratie semi-directe – souvent soporifique – mais l’élection présidentielle emporte tout sur son passage. Symbole de la monarchie présidentielle française, cette recherche permanente du sauveur nuit à toute réforme du système politique.
En effet, l’immense majorité des hommes et femmes politiques semblent nourrir en eux l’ambition de devenir, un jour, président-e de la République, à la tête de la 5ème économie mondiale et chef des armées d’une des dix puissances nucléaires au monde.

Le pourquoi pas moi explique aussi la recherche permanente dans les médias de la prochaine star politique. Mais nous reviendrons quelque peu sur le rôle des médias.

Emmanuel Macron a parfaitement compris une chose : la population française a envie de se débarrasser de la génération de politicien-ne-s qui occupe l’espace politique depuis près de 30 ans. En particulier celle qui gouverne depuis l’époque de Mitterrand.

Le coup de balai sévère infligé à Nicolas Sarkozy puis Alain Juppé, celui en passe d’arriver à Manuel Valls, dépassé par les propositions nouvelles et innovantes de Benoît Hamon, l’abandon obligé de François Hollande ou l’élimination de Cécile Duflot, bien qu’il s’explique différemment, en sont autant d’illustrations récentes. Et ce dans divers courants politiques.

Cette recherche de nouvelles têtes, et le jeune âge du candidat d’en Marche explique ainsi l’intérêt autour d’Emmanuel Macron. L’engouement et la curiosité des français-es pour le débat politique explique aussi la forte présence à ses meetings. En effet, cela s’est vu lors de la primaire de la droite, et plus modestement avec celle du Parti Socialiste, les français-es ont soif de participation à la vie démocratique. Un système de consultations populaires fréquentes y rencontrerait à coup sûr un franc succès et permettrait, de mon point de vue, de nombreuses réformes et avancées sociales, mais cela est un autre débat qu’il serait intéressant d’ouvrir ici pendant cette campagne.

L’engouement pour un-e candidat-e s’explique souvent en premier lieu par des caractéristiques éloignés des idées : nouveau venu, côté « normal », franc parler, doté d’épaules larges ou courageux. Puis, seulement, viennent les qualificatifs liés au programme et aux idées. Et cela, Emmanuel Macron l’a parfaitement compris. Occuper le vide « centriste », ne fâcher personne, rencontrer tout le monde et se construire une image de présidentiable. Il fait tout juste.

Jusqu’au moment où son programme devra être clarifié et débattu dans les détails. En effet, après 5 années de réformes social-libérales du gouvernement Hollande, les électeurs et électrices français voudront-ils aller plus loin et appliquer le programme des socio-démocrates allemands sous Schröder à la sauce française ?

Il emploie lui même le terme de troisième voie avec les résultats que ce courant a connu en Angleterre et en Allemagne. Hantise absolue pour les militant-e-s de gauche de toute l’Europe, dont les classes populaires et moyennes de ces deux États font encore les frais aujourd’hui. Affirmer son idéologie libérale lui coûtera des voix et resserrera son électorat potentiel.

Hormis quelques bonnes idées, progressistes et de bon sens, sur l’organisation territoriale (suppression des départements dans les zones urbanisées), l’éducation (investir massivement et baisser le nombre d’élèves par classe dans les quartiers prioritaires) ou la santé (remboursement des lunettes et des prothèses dentaires et auditives), le programme du candidat d’En Marche n’est pas d’une grande inventivité. C’est le mot.

Sans étonnement, il reprend le squelette de pensée de la doxa libérale : baisse de l’impôt sur la fortune, nouvelle baisse de charges pour les entreprises sans contreparties (CICE augmenté) et réduction des dépenses publiques. Sans préciser bien entendu, pour cette dernière mesure, dans quelle domaine il faudrait couper. Difficile, et exclu, de faire des choix clivants pour le candidat Macron.

On ne compte plus les « unes » qui lui sont consacrées. Même le service public, en particulier le JT de France 2 semble être sous le charme de ce « ministre à part », « électron libre » qui « dit les vérités ». Chacun-e se rendra compte du soutien énorme apporté par une telle couverture média. Le site ACRIMED y a consacré un excellent article que je vous recommande.

Il est impossible de ne pas parler de la primaire du PS, dont il a été le grand absent, au grand dam des dirigeants solfériniens. Son absence fut d’ailleurs souvent au cœur des débats. Il lui fallait éviter cette primaire de la gauche aux allures de bal des anciens ministres de François Hollande, voire de Congrès du Parti socialiste. S’enfermer dans cette lutte entre les différentes tendances d’un parti duquel il a toujours essayé de se distancier aurait pu le tuer politiquement. Il en est bien conscient et a d’ailleurs tout fait pour en diminuer la portée. Il renforce ainsi en ce moment sa stature présidentielle en tournée au Liban, soutenu discrètement par l’Élysée.

De plus, son mouvement En Marche – dont le nombre de « membres » se mesure simplement au nombre d’adresses emails récoltées – lui permet de se placer par delà des partis, au dessus des étiquettes politiques traditionnelles. En faisant peau neuve, sans être, une nouvelle fois, inquiété par le bilan politique de Hollande, auquel il a œuvré.

Maintenant, le résultat du 1er tour qui a vu l’écolo-socialiste Benoît Hamon créer la surprise en virant en tête, devant Manuel Valls, risque bien entendu de lui ouvrir un boulevard dans cette course pour la tête du camp progressiste. Condition indispensable, potentiellement synonyme de qualification pour le 2ème tour.

Bien avant la fin de la primaire PS, les ralliements du courant socialiste affluent déjà : Thomas Hollande, dont le père est un des fils spirituels de Macron, le soutient déjà discrètement, de même que Jacques Attali, pour qui le jeune énarque François Hollande a travaillé sous la présidence Mitterrand. Ségolène Royal se dit déjà prête à faire de même. On imagine aisément de nombreux ministres, député-e-s et sénateurs/trices faire de même si la percée de Benoît Hamon se confirme dimanche.

La stratégie retenue semble être celle de suivre le parcours  de François Bayrou en 2007. La configuration politique à gauche, avec un Parti socialiste au bord de l’explosion en cas de victoire de Hamon, risque de lui être favorable. Une situation bien plus avantageuse que celle vécue par Bayrou il y a dix ans.

Ces prochaines semaines, au moment où la campagne présidentielle aura réellement commencé, vont montrer si Emmanuel Macron continue sur cette lancée ou si sa jeune machine politique subit des coups de frein suite aux attaques et clarifications. Au delà des couvertures de magazines, le personnage, son parcours et son programme vont enfin être mis à nu.

En effet, qui semble aujourd’hui se rappeler qu’il a été l’un des piliers de la politique économique du quinquennat Hollande ? L’artisan des baisses fiscales inconditionnelles en faveur des entreprises et de la loi travail qui a vu la mobilisation déterminée de millions de personnes contre elle ?

Son lancement de campagne a été un coup de maître. Il faut le dire. Cependant, son discours déconnecté de la vie des gens, souvent accompagné de mépris – l’affaire du costard face à des grévistes résume tout – et son programme libéral ne semblent pour l’instant pas prendre auprès des couches populaires.

La création d’un nouveau mouvement, le soutien de personnalités politiques du centre et la communication habile aidée par les médias qui participent à la création d’un mythe Macron l’aident pour l’instant à faire oublier son passage au gouvernement. Reste à savoir pour combien de temps.

Le plus dur lui reste à faire. Il devra présenter un programme complet, assumer sa vision économique libérale et subir la mobilisation opposée au bilan économique désastreux du quinquennat dont il a été la pierre angulaire. Le récent soutien du libéral Alain Minc de même que celui de Jacques Attali, l’un de ses modèles politiques, devrait l’aider, si ce n’est l’obliger, à assumer son programme économique libérale. À ce moment, la vraie campagne aura commencé. Et nous verrons qu’Emmanuel Macron fait du neuf avec du vieux et ne propose rien de « révolutionnaire ».